
HUN KIM -
DIRECTEUR ARTISTIQUE
En tant que directeur artistique de la Maison KARL LAGERFELD, Hun a travaillé en étroite collaboration avec Karl pour comprendre et réalisé sa vision. Aujourd'hui, il continue de créer l’identité créative de la marque, en s'inspirant de thèmes éclectiques comme ses voyages à l’étranger, l’histoire et la culture populaire, tout en restant tourné vers l'avenir.
« L’héritage de Karl est une responsabilité lourde à porter, mais pendant nos années de travail, nous avons développé une compréhension mutuelle de nos visions créatives respectives et de ce qu'est le design », explique Hun. « Karl a toujours su ce qu’il aimait et ce qu’il voulait changer. C'était incroyable de travailler avec la plus grande icône moderne de la mode. J’ai beaucoup appris grâce à lui. »

Votre carrière est très impressionnante ! Comment est né votre intérêt pour la mode ?
J’ai grandi proche du monde de la mode, car ma mère était styliste. J’étais donc entouré de tissus et de vêtements en permanence. J’adorais également jouer avec mes poupées et leur confectionner des habits. À l’école, toutes les filles me demandaient comment je faisais !
Qu’est-ce qui vous a conduit aux États-Unis, puis à Amsterdam ?
Lorsque mon père a pris sa retraite, ma famille a décidé que nous quitterions la Corée pour vivre aux États-Unis. Nous nous sommes installés en Virginie, mais j'ai rejoint New York peu de temps après. Même si j’avais déjà une licence d’une université coréenne, je suis allée au FIT (Fashion Institute of Technology) à New York, car je voulais m’adapter et comprendre cette culture et ce marché différents.
Lors de mon premier cours de dessin, le professeur m’a demandé ce que je faisais là. Il était tellement impressionné par mes croquis qu’il m’a suggéré d’entamer ma carrière sans plus tarder. J’ai commencé comme indépendant, puis j’ai travaillé pour des marques, telles que GAP, Ralph Lauren, Abercrombie et Tommy Hilfiger. Je créais beaucoup de designs rouges, blancs et bleus en lien avec la culture des États-Unis, alors quand je suis arrivé chez KARL LAGERFELD, j’étais ravi de passer à une palette de noirs et de blancs. C’était un tournant décisif de ma carrière.
Qu’est-ce qui vous a surpris au cours de votre carrière chez KARL LAGERFELD ?
Karl a construit sa marque éponyme autour de son univers personnel. Plus je travaille pour cette marque, plus je découvre des aspects différents de sa personnalité. Quand je me plonge dans les archives, j’y trouve en fait une multitude de couleurs, de bijoux, d’imprimés et de choses qui me surprennent. C’est comme une île aux trésors.
Quand avez-vous rencontré Karl pour la première fois ? Racontez-nous.
J’ai commencé à travailler pour la marque à Amsterdam et, un jour, j’ai reçu un message m’informant que Karl voulait me rencontrer à Paris. J’étais tellement nerveux que je sentais la sueur couler le long de mon dos ! Mais, il a commencé à me parler de manière ouverte et sur un ton très chaleureux. Il m’a posé des questions sur moi, m’a demandé d’où je venais. Nous savions qu’en public, il semblait froid et inaccessible, mais dans la vraie vie, il était différent. Il a brisé la glace et a cherché à me mettre à l’aise.
Les croquis nous ont permis de tisser des liens immédiatement. Il m’a dit qu’il adorait exprimer ses idées sur le papier et je ressens la même chose. Plus tard, je me suis rendu compte que le dessin est un langage international. Karl parlait couramment français, allemand et anglais, mais nous communiquions à travers nos croquis.


Cela semble avoir été un beau moment…
Oh oui ! J’étais angoissé au début mais si content en quittant la pièce. Combien de personnes peuvent dire qu’elles se sont assises à côté de Karl pour partager des idées ? C’était le moment le plus marquant de ma carrière.
Vous avez ensuite travaillé en étroite collaboration avec Karl pendant de nombreuses années. Quelle est la meilleure leçon qu’il vous a apprise ?
La confiance en moi. Je travaille dans ce secteur depuis longtemps et je pense que les gens sont souvent frustrés parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Karl était très clair. Il ne doutait jamais. Tout le monde était content de travailler avec lui, parce qu’il savait très bien s’exprimer et avait beaucoup d’assurance.
Lorsque vous travaillez sur une nouvelle collection, où puisez-vous votre inspiration ?
Nous sommes entourés de tant d’influences : des endroits, des personnes dans la rue, des films, des archives. J’aime consulter les archives de Karl et regarder ce qu’il a créé à partir de la vraie vie et pas uniquement à partir de son imagination. Je demande aussi aux membres de son équipe d’origine les choses qu’il aimait, sa musique et ses artistes préférés. Il écoutait même du tango argentin. Je dis toujours à mon équipe : ne regardez pas votre téléphone portable lorsque vous marchez. Levez la tête et observez les gens, l’architecture, les magasins et la culture. Tout est source d’inspiration.
L’innovation numérique compte énormément pour la marque. Comment faites-vous fusionner la technologie et la tradition dans vos créations ?
Nous nous intéressons de près à ce que la technologie peut apporter à nos collections. Actuellement, nous formons des stylistes sur CLO, un logiciel de mode numérique tridimensionnel qui crée des rendus de vêtements ultraréalistes. Ils sont si clairs que nous pouvons les utiliser pour la vente au lieu de créer des prototypes et des échantillons. Cela est plus durable, car nous avons moins besoin d’expédier des échantillons et n’utilisons pas de tissu superflu. Nous ne courons pas après la technologie mais nous voulons la contrôler pour notre propre usage.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail chez KARL LAGERFELD ?
Les gens. Notre équipe de design est composée de personnes venant des quatre coins du monde. Nous découvrons sans cesse de nouvelles cultures et partageons nos différentes expériences. Nous nous retrouvons également en dehors du travail pour manger ensemble. Nous sommes vraiment comme une famille et nous nous comprenons les uns les autres. On travaille pour gagner de l’argent mais aussi pour tisser des liens.
En dehors de la mode, quels sont vos loisirs ?
J’adore cuisiner ! Lorsque j’ai quitté la Corée, j’ai commencé à intégrer une multitude de cultures dans ma cuisine. C’est une fusion et une forme d’évolution, car on remplace des ingrédients selon l’endroit où l’on se trouve. La cuisine est aussi très esthétique. Quand on va dans un bon restaurant, on s’apprête. La mode et la cuisine vont donc vraiment bien ensemble !
Vous avez vécu un peu partout dans le monde. Quelle est votre ville préférée et pourquoi ?
New York est une ville extraordinaire. J’y ai vécu du début des années 90 jusqu’en 2010 et je n’aurais jamais imaginé la quitter, mais un jour j’ai fait mes valises et j’ai déménagé à Amsterdam. Cela fait maintenant dix ans que j’y vis et j’ai un gros coup de cœur pour cette ville. C’est ici que je me sens le plus chez moi.
Comment décririez-vous votre style personnel ?
Je suis un caméléon ! Le look de Karl était emblématique avec son costume noir, sa queue-de-cheval blanche, ses lunettes de soleil et sa chemise immaculée. Je préfère les tenues confortables et me fondre dans la masse. Au quotidien, je porte en général un jean et un sweat-shirt. J’aime m’apprêter pour les occasions spéciales, pas tous les jours.
Quel est votre moment le plus iconique dans ce milieu ?
Ma rencontre avec Anna Wintour au studio de Karl, le 7L, est le deuxième moment le plus mémorable de ma carrière après avoir rencontré Karl en personne. C’était lorsqu’elle a annoncé que Karl serait le thème de l’exposition du Costume Institute et du Met Gala en 2023. Tous les plus grands noms de la mode étaient réunis dans une pièce, et cela grâce à Karl.
Selon vous, quel a été le moment le plus marquant du Met Gala 2023 ?
Absolument tout ! J’ai eu la chance de pouvoir travailler en étroite collaboration avec Anita Briey, qui a été première d’atelier pour Karl pendant 25 ans. Elle a été un véritable guide pour moi et m’a fait part de son expérience lorsqu'il a fallu que nous imaginions ensemble des tenues sur mesure pour nos invités. C’était comme un rêve qui devenait réalité. Même si nous ne parlons pas la même langue, nous avons créé des collections entières, un dessin après l’autre. Je faisais des croquis et elle leur donnait vie en utilisant de la mousseline. La mousseline a ensuite fait place à de la toile, puis de nombreux essayages se sont succédés. Jusqu’à ce qu’enfin, les vêtements soient prêts pour le tapis rouge ! Ensemble, nous avons vraiment rendu hommage à Karl et chaque instant passé à travailler sur cette collection est absolument inoubliable pour moi.
Que représente pour vous le fait que Karl ait été le thème du Met Gala et de son exposition ?
C’était un grand honneur de contribuer à l’exposition du Met, mais ce qui compte le plus à mes yeux est d’avoir pu créer une collection pleine de sens et de la partager avec le monde. Je me sens lié à Karl car nous partagions les mêmes centres d’intérêt, notamment le dessin. Il avait le don de transformer ses croquis en véritables œuvres d’art en y ajoutant une simple « ligne de beauté » : cela m’inspire énormément. Je suis fier de suivre les traces de Karl, étape par étape.
Racontez-nous quelque chose que nous ne savons pas sur vous !
Je suis un livre ouvert. Peut-être trop ouvert. Je pense que tout le monde me connaît assez bien !